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Mestre Moraes appartient à une noble lignée de la capoeira Angola. Il a été l'élève de Mestre João Grande, qui fut l'élève de Mestre Pastinha, lui même élève de Mestre Benedeto. Abreuvé à cette riche source, il ne s'est jamais arrêté depuis l'âge de ses huit ans, et il est aujourd'hui l'une des principales références de la Capoeira Angola. Il est l' auteur avec son groupe de quatre albums d' une qualité exceptionnelle dont deux furent nominés aux Grammy Awards.
Dans cette interview, il parle de Mestre Pastinha, reconnaît l'importance des autres maîtres, mais critique les capoeiristes qui cherchent cette reconnaissance de façon inconséquente et irrespectueuse. Le Grupo de Capoeira Angola Pelourinho, une institution qu'il a fondé et qu'il préside à l'heure actuelle, nous est aussi présentée par Mestre Moraes, de même que son point de vue sur la capoeira, élaboré et holistique. Pedro Moraes Trinidade est le nom inscrit sur son acte de naissance, un document qu'il considère avec méfiance: « parfois, j'ai l'impression qu'il y a eu une erreur sur mon acte de naissance. J'ai la sensation d'avoir 24 ans et que je vais en avoir 25 ».
P. Capoeira: Quand et dans quel contexte a commencé votre apprentissage de la Capoeira Angola?
J'ai commencé à pratiquer la Capoeira Angola à huit ans, dans l'académie de Mestre Pastinha. En fait, j'ai été l'élève de Mestre João Grande, dans cette école, ce dont je suis très fier.
P. Capoeira: Comment était la capoeira à cette époque?
La capoeira n'était pas un enjeu politique, comme c'est le cas aujourd'hui, en raison du manque de formation et/ou d'information des capoeiristes de cette époque. L'accès à l'éducation était très difficile pour les classes populaires, d'où ce manque. La plupart jouaient la capoeira dans des rodas de rue: une grande école. Dans ces rodas, il se passait tout ce dont on a besoin pour avoir une vision globale de la capoeira. C'est dans ce cadre que j'ai appris à être, comme le dit Mestre João Gande, positif et négatif.
P. Capoeira: Mestre João Grande a été instructeur dans l'Académie de Mestre Pastinha? Comment était-elle structurée et quelle a été son influence à Salvador?
Mestre João Grande n'a pas été le seul à être instructeur dans l'école de Mestre Pastinha. Mestre João Pequeno lui aussi a été et reste d'une grande importance dans la continuité du mouvement. La structure de l'école de Mestre Pastinha correspondait aux principes de la tradition africaine, en d'autres mots, elle n'avait pas la rigidité d'une académie. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'organisation, de principes ou de règles. C'était une organisation de la vie commune non cartésienne.
Les élèves s'entraînaient sous la surveillance des maîtres et des contre-maîtres. Les rodas avaient lieu les dimanches soirs ou n'importe quel autre jour s'il y avait des visiteurs. L'école de Mestre Pastinha a été d'une importance primordiale pour qu'on ait aujourd'hui de grandes figures dans le monde de la Capoeira Angola, qui poursuivent le travail de notre regretté maître.
P. Capoeira: La Capoeira Angola a eu de grands maîtres antérieurs et contemporains à Mestre Pastinha. Comment se fait-il qu'il soit la référence principale de la capoeira et que la majorité des capoeiristes suivent son école?
Comme je l'ai déjà dit, les capoeiristes de l'époque de Mestre Pastinha n'avaient pas accès à l'éducation, d'où leur difficulté pour mettre des mots sur la Capoeira Angola, ce que Mestre Pastinha faisait avec un talent unique. Ses pensées philosophiques guident jusqu'à aujourd'hui les chemins de la Capoeira Angola. C'est pourquoi la majorité des angoleiros qui recherchent des explications sur la subjectivité de la Capoeira Angola n'ont pas d'autres références à suivre.
Quel était le contexte dans la Capoeira Angola au moment de la fondation du GCAP, un travail qui, entre autres, a eu pour résultat la formation d'une nouvelle génération de maîtres?
Le GCAP est apparu à un moment où la Capoeira Angola était reléguée à l'arrière plan par rapport à la Capoeira Regional qui, contrairement à la Capoeira Angola est apparue au sein de la « high society » avec un discours scientifique élaboré, lequel, dans la plupart des cas, présentait la Capoeira Angola et les maîtres de cet art comme des objets de musée. Après être resté douze ans à Rio de Janeiro, je suis retourné à Salvador en 1982 et j'ai décidé de poursuivre l'idée qui a abouti à la création du GCAP: sauvegarde et préservation des principes de la Capoeira Angola, conformément à la volonté de Mestre Pastinha. Ce travail ne pouvait pas se faire sans les conseils des vieux maîtres. Je les ai donc conviés pour qu'on sorte la Capoeira Angola de l'ostracisme, un effort dont on voit aujourd'hui le résultat. L'apparition de nouveaux maîtres est le résultat normal de la vigueur de la Capoeira Angola. Malheureusement certains joueurs de Capoeira font une interprétation hâtive de ce que représente le fait d'être maître de Capoeira Angola, d'où la prolifération de maîtres, sans parler de l'absurdité de ceux qui se croient suffisamment polyvalents pour pouvoir enseigner les deux styles, angola et regional.
P. Capoeira: Lors de la dernière rencontre du GCAP, la onzième, un hommage a été redu à l'acteur noir Mário Gusmão. Quelle est l'importance de ces événements?
Le Grupo de Capoeira Angola Pelourinho ne s'intéresse pas uniquement à l'enseignement de la capoeira. Nos ambitions sont beaucoup plus vastes. L'une d'elles est de montrer à notre communauté l'existence de héros brésiliens noirs, restes de la diaspora africaine au Brésil. Mário Gusmão a été pour nous, et je pense pour la majorité des noirs sensibles à cette cause, l'un de ces Zumbi oubliés par la société brésilienne.
P. Capoeira: Beaucoup de personnes envisagent la capoeira comme un sport. Comment envisagez-vous la capoeira angola?
La capoeira a été conçue par Mestre Pastinha comme « Tout ce que mange la bouche ». Limiter la capoeira à son versant sportif revient à nier le principe de la fusion du corps et de l'esprit dans sa pratique. Ma vision de la capoeira est holistique, c'est à dire qu'elle est comme l'univers. Ses différentes parties s'unissent, avec pour objectif de constituer des unités de complexité croissante. C'est un art inachevé.
P. Capoeira: Comment la capoeira peut-elle venir en aide aux enfants pauvres et vivant dans la rue?
Avant de vouloir que la capoeira résolve le problème des enfants abandonnés, il faut se rendre compte du fait que la préservation de la culture et des traditions d'un peuple passe par la transmission de cette culture et de ces traditions aux enfants et aux adolescents, afin qu'ils prennent conscience des valeurs culturelles de la société dans laquelle ils vivent, et puissent ainsi avoir une meilleure estime d'eux-mêmes. Grâce au caractère ludique, à la musique et aux mouvements de la capoeira, le maître peut contribuer à la réintégration des enfants des rues dans la société, en les guidant vers une prise de conscience de leurs droits et de leurs devoirs. Mais il peut aussi avoir une influence négative s'il réduit la capoeira à son versant martial, sportif. « Une particularité brésilienne est l'importance de la danse et de la musique dans l'intégration sociale des jeunes déshérités... Ce qui s'est avéré être une bonne idée est de valoriser les caractéristiques de l'identité culturelle de la communauté impliquée.. »(Revista Veja n°38- 22 septembre 1999- p. 120)
P. Capoeira: La Capoeira Angola préserve et maintient la tradition, le processus ritualisé et les relations de spiritualité dans le jeu. Comment cette tradition réagit-elle à la modernité et à la mondialisation?
P. Capoeira: Quand et dans quel contexte a commencé votre apprentissage de la Capoeira Angola?
J'ai commencé à pratiquer la Capoeira Angola à huit ans, dans l'académie de Mestre Pastinha. En fait, j'ai été l'élève de Mestre João Grande, dans cette école, ce dont je suis très fier.
P. Capoeira: Comment était la capoeira à cette époque?
La capoeira n'était pas un enjeu politique, comme c'est le cas aujourd'hui, en raison du manque de formation et/ou d'information des capoeiristes de cette époque. L'accès à l'éducation était très difficile pour les classes populaires, d'où ce manque. La plupart jouaient la capoeira dans des rodas de rue: une grande école. Dans ces rodas, il se passait tout ce dont on a besoin pour avoir une vision globale de la capoeira. C'est dans ce cadre que j'ai appris à être, comme le dit Mestre João Gande, positif et négatif.
P. Capoeira: Mestre João Grande a été instructeur dans l'Académie de Mestre Pastinha? Comment était-elle structurée et quelle a été son influence à Salvador?
Mestre João Grande n'a pas été le seul à être instructeur dans l'école de Mestre Pastinha. Mestre João Pequeno lui aussi a été et reste d'une grande importance dans la continuité du mouvement. La structure de l'école de Mestre Pastinha correspondait aux principes de la tradition africaine, en d'autres mots, elle n'avait pas la rigidité d'une académie. Cela ne veut pas dire qu'il n'y avait pas d'organisation, de principes ou de règles. C'était une organisation de la vie commune non cartésienne.
Les élèves s'entraînaient sous la surveillance des maîtres et des contre-maîtres. Les rodas avaient lieu les dimanches soirs ou n'importe quel autre jour s'il y avait des visiteurs. L'école de Mestre Pastinha a été d'une importance primordiale pour qu'on ait aujourd'hui de grandes figures dans le monde de la Capoeira Angola, qui poursuivent le travail de notre regretté maître.
P. Capoeira: La Capoeira Angola a eu de grands maîtres antérieurs et contemporains à Mestre Pastinha. Comment se fait-il qu'il soit la référence principale de la capoeira et que la majorité des capoeiristes suivent son école?
Comme je l'ai déjà dit, les capoeiristes de l'époque de Mestre Pastinha n'avaient pas accès à l'éducation, d'où leur difficulté pour mettre des mots sur la Capoeira Angola, ce que Mestre Pastinha faisait avec un talent unique. Ses pensées philosophiques guident jusqu'à aujourd'hui les chemins de la Capoeira Angola. C'est pourquoi la majorité des angoleiros qui recherchent des explications sur la subjectivité de la Capoeira Angola n'ont pas d'autres références à suivre.
Quel était le contexte dans la Capoeira Angola au moment de la fondation du GCAP, un travail qui, entre autres, a eu pour résultat la formation d'une nouvelle génération de maîtres?
Le GCAP est apparu à un moment où la Capoeira Angola était reléguée à l'arrière plan par rapport à la Capoeira Regional qui, contrairement à la Capoeira Angola est apparue au sein de la « high society » avec un discours scientifique élaboré, lequel, dans la plupart des cas, présentait la Capoeira Angola et les maîtres de cet art comme des objets de musée. Après être resté douze ans à Rio de Janeiro, je suis retourné à Salvador en 1982 et j'ai décidé de poursuivre l'idée qui a abouti à la création du GCAP: sauvegarde et préservation des principes de la Capoeira Angola, conformément à la volonté de Mestre Pastinha. Ce travail ne pouvait pas se faire sans les conseils des vieux maîtres. Je les ai donc conviés pour qu'on sorte la Capoeira Angola de l'ostracisme, un effort dont on voit aujourd'hui le résultat. L'apparition de nouveaux maîtres est le résultat normal de la vigueur de la Capoeira Angola. Malheureusement certains joueurs de Capoeira font une interprétation hâtive de ce que représente le fait d'être maître de Capoeira Angola, d'où la prolifération de maîtres, sans parler de l'absurdité de ceux qui se croient suffisamment polyvalents pour pouvoir enseigner les deux styles, angola et regional.
P. Capoeira: Lors de la dernière rencontre du GCAP, la onzième, un hommage a été redu à l'acteur noir Mário Gusmão. Quelle est l'importance de ces événements?
Le Grupo de Capoeira Angola Pelourinho ne s'intéresse pas uniquement à l'enseignement de la capoeira. Nos ambitions sont beaucoup plus vastes. L'une d'elles est de montrer à notre communauté l'existence de héros brésiliens noirs, restes de la diaspora africaine au Brésil. Mário Gusmão a été pour nous, et je pense pour la majorité des noirs sensibles à cette cause, l'un de ces Zumbi oubliés par la société brésilienne.
P. Capoeira: Beaucoup de personnes envisagent la capoeira comme un sport. Comment envisagez-vous la capoeira angola?
La capoeira a été conçue par Mestre Pastinha comme « Tout ce que mange la bouche ». Limiter la capoeira à son versant sportif revient à nier le principe de la fusion du corps et de l'esprit dans sa pratique. Ma vision de la capoeira est holistique, c'est à dire qu'elle est comme l'univers. Ses différentes parties s'unissent, avec pour objectif de constituer des unités de complexité croissante. C'est un art inachevé.
P. Capoeira: Comment la capoeira peut-elle venir en aide aux enfants pauvres et vivant dans la rue?
Avant de vouloir que la capoeira résolve le problème des enfants abandonnés, il faut se rendre compte du fait que la préservation de la culture et des traditions d'un peuple passe par la transmission de cette culture et de ces traditions aux enfants et aux adolescents, afin qu'ils prennent conscience des valeurs culturelles de la société dans laquelle ils vivent, et puissent ainsi avoir une meilleure estime d'eux-mêmes. Grâce au caractère ludique, à la musique et aux mouvements de la capoeira, le maître peut contribuer à la réintégration des enfants des rues dans la société, en les guidant vers une prise de conscience de leurs droits et de leurs devoirs. Mais il peut aussi avoir une influence négative s'il réduit la capoeira à son versant martial, sportif. « Une particularité brésilienne est l'importance de la danse et de la musique dans l'intégration sociale des jeunes déshérités... Ce qui s'est avéré être une bonne idée est de valoriser les caractéristiques de l'identité culturelle de la communauté impliquée.. »(Revista Veja n°38- 22 septembre 1999- p. 120)
P. Capoeira: La Capoeira Angola préserve et maintient la tradition, le processus ritualisé et les relations de spiritualité dans le jeu. Comment cette tradition réagit-elle à la modernité et à la mondialisation?
La Capoeira Angola a survécu à toutes les changements de la société depuis son arrivée au Brésil. La capacité à la métamorphose dichotomique est inhérente à cet art. La mondialisation n'est qu'une nouvelle forme de colonisation, ce à quoi les traditions africaines au Brésil ont su résister jusqu'à aujourd'hui. Et c'est justement le maintien de la relation avec la spiritualité qui conditionne la survie de la capoeira face à tous ces changements de la société.
P. Capoeira: Pensez-vous que la capoeira se soit éloignée de son ascendance africaine?
La capoeira est l'une des manifestations de notre ascendance africaine. Certaines personnes pratiquent la capoeira sans le moindre intérêt pour ses traditions et de ses fondements, mais elles souffrent elles-mêmes des conséquences de ce comportement.
P. Capoeira: Que pensez-vous du fait que Mestre João Grande ait dû quitter le Brésil et s'installer à New York pour que son travail soit reconnu et mis en valeur, au point qu'il a reçu le titre de Docteur Honoris Causa d'une université américaine?
C'est triste, pour nous brésiliens, de continuer à voir nos légendes vivantes, comme Mestre João Grande, être contraints de quitter le pays pour être reconnus à l'étranger. Ce comportement est une preuve supplémentaire du manque de respect vis-à-vis de la culture et de notre ascendance africaines. Si Mestre João Grande avait osé rester à Bahia, il serait peut-être déjà mort, comme sont morts ses contemporains. Mestre Bobó, Valdemar, Paulo dos Anjos, Ezequiel et Canjiquinha.
P. Capoeira: Il y a à l'heure actuelle une réelle prolifération de maîtres dans le monde de la capoeira et beaucoup d'entre eux sont jeunes. Comment doit être selon vous un maître de capoeira?
Il y a aujourd'hui, dans le monde de la capoeira, une conception erronée du concept de ce que signifie être un maître. Si l'on se réfère aux cultures orientales, on note que le maître est celui qui n'a plus besoin de prouver dans le Dojo ou sur un tatami ses qualités physiques. La relation philosophique qu'il entretient avec son art est si intime qu'il jouit du respect de ses disciples non seulement pour sa dextérité au combat mais aussi pour son intelligence et son expérience de la vie.
Aujourd'hui la majorité des élèves achètent leur titre ou s'auto-proclament maîtres de capoeira sans le moindre intérêt pour les éléments subjectifs de cet art, en oubliant que le sentiment de subjectivité est ce qui conditionne sa verbalisation, ce qui est aussi une caractéristique d'un véritable maître.
P. Capoeira: Comment se sent un maître angoleiro qui va avoir 55 ans en l'an 2005 et est en pleine activité?
Je me sens privilégié par la nature pour le fait de ne pas encore avoir atteint le stade de rationalité qui pousse l'homme à associer l'âge à un certain type d'activité physique ou intellectuelle. Parfois, j'ai l'impression qu'il y a eu une erreur sur mon acte de naissance. J'ai la sensation d'avoir 24 ans et que je vais en avoir 25 en l'an 2005. Le baobab vieillit mais demeure majestueux au milieu de la nature.
source : Praticando Capoeira.
traduction : Sébastien Palusci.