Au début du 19ème siècle, des groupes de capoeiristes utilisent les rues cariocas pour démontrer leur habilité et résoudre les discriminations. Et quand la police réprime les lutteurs, l'élite craint une révolte des esclaves.

 

En ce 10 septembre de 1810, l'esclave Felipe Angola marche seul dans les rues de Rio de Janeiro, loin des yeux de son seigneur -un riche commerçant- mais surveillé de près par une patrouille de la Guarda Real. Surpris, il tente une manoeuvre et attaque les gardes d'un mouvement de jambe. Il est le premier esclave emprisonné à Rio de Janeiro pour avoir été...un capoeiriste.
 

 

Pratiquée par des noirs de diverses origines africaines, la capoeira n'est pas prohibée au début du 19 ème; mais l'élite carioca se sent menacée par la présence de plus en plus marquée des capoeiristes ou « capoeiras » dans la rue.

 

Quand les gangs utilisent la capoeira afin de se disputer un territoire ou se défendre de la police, les européens craignent que les esclaves réussissent à se rebeller. Une peur ancrée dans l'expérience française en Haïti : les esclaves ont abandonné les plantations de canne, détruit les exploitations, massacré les riches propriétaires et les colons français. De plus, à Rio de Janeiro, la population d'esclaves ne cesse de croître et quand en 1808, la famille royale portugaise, fuyant les campagnes napoléoniennes, s'installe, la ville carioca connaît une explosion démographique sans précédent. Car ce sont plus de 15 000 milles lisboètes qui accompagnent le roi Dom João VI, accentuant grandement la demande en esclaves. Tant et si bien que la ville de Rio de Janeiro comptait 46 000 esclaves en 1821 soit la moitié de la population de la ville.

Profitant de la géographie carioca -très escarpée et arborée- les capoeiristes se réunissent en « maltas » -meutes ou bandes-. Ces gangs formés par des noirs natifs d'Afrique ou du Brésil, esclaves et affranchis luttent entre eux et contre la police parfois jusqu'à la mort.

 


Selon l'historien Carlos Eugênio Libano Soares, auteur de A Capoeira Escrava e Outras Tradiçoes Rebeldes no Rio de Janeiro (1808-1850), « Les maltas vivaient une rivalité de tout instant qui était inspirée par une société régie par la violence et non par l'harmonie entre les races ». Des historiens tels que Soares ont pu, grâce aux archives de la police et des prisons de l'époque, reconstituer le quotidien des rues en cette époque.
Les mêmes registres aident aussi à comprendre la naissance ou tout du moins le développement de cet art martial car comme la plupart des esclaves brésiliens étaient en zone rurale, nous avons tendance à penser que la capoeira est née dans les senzalas ou les quilombos. Cependant Soares affirme que « la capoeira apparaît dans les documents du 19 ème siècle comme essentiellement urbaine ». Il considèrent d'ailleurs Rio comme un des berceaux de la lutte au 17ème siècle où il note l'utilisation du mot « capoeira » pour un type de panier de paille utilisé par les dockers de la zone portuaire de Rio qui furent toujours d'aprés lui les premiers à exhiber les techniques de cet art martial.

 

Quittant les plages, la capoeira cesse d'être un divetissement et devient une arme de combat. Soares ajoute: « il n'y avait pas de canalisations d'eau et il était nécessaire d'aller la chercher tous les jours. Ainsi, pour maintenir son domaine informel, les esclaves d'une aire déterminée tendaient à corriger les esclaves d'autres endroits ». Aller chercher de l'eau potable fait parti du quotidien des esclaves et les fontaines publiques sont le témoin privilégié des bagarres opposant des capoeiras.

Mais l'absence de lois prohibant la capoeira n'empêche pas que les chatîments contre ses pratiquants deviennent de plus en plus sévères surtout depuis l'arrivée de la famille royale portugaise. Pour les autorités, n'importe quelle manifestation de la culture noire est mal vue.
 

 

Coups de fouet et servitude.

 

La prison est alors la première punition pour les capoeiristes mais elle est agrémentée de chatîments corporels. Un édit officiel daté du 6 décembre 1817 établit la peine de 300 coups de fouet pour les capoeiristes pris en flagrant délit. En avril 1821, Paulo Fernandes Viana, recommande au gouvernement que les fêtes noires (occasion de pratiquer la capoeira) soient bannies. Sous le règne de Dom Pedro I les coups de fouets se combinent aux travaux forcés -1824 voit la création d'un gigantesque chantier naval prévu à cet effet sur l' Ihla das cobras-. Malgré l'indignation de leurs maîtres, le besoin de main d'oeuvre fait que la plupart des capoeiras prisonniers à l' Arsenal da Marinha, alors la plus grande prison de Rio, vont travailler là. Une main d'oeuvre bon marché pour le jeune Empire dont l'arbitraire des peines concernant les capoeiristes paraît sans limite. Manoel Crioulo, par exemple, fut condamné à deux ans de travaux forcés et envoyé à l' Arsenal da Marinha en 1827 pour avoir donné une bofetada (gifle) avec la main ouverte.

 

Pourtant, même en étant considérés comme des marginaux et des fauteurs de troubles par l'Etat, les capoeiristes sont sollicités en juin 1928 pour, comme qui dirait, maintenir l'ordre. Les troupes étrangères de l'Armée Impériale principalement formées par des irlandais et des allemands prennent les armes devant le retard dans la paie de leur solde. Armés -avec l'appui des autorités- esclaves et capoeiristes arrivent à contenir l'agiatation des mercenaires mutinés. Une démonstration de pouvoir et un fait d'arme encore loué...

 

 

 

Guerre dans les rues.

 

1831 est marqué par l'opposition des libéraux à Dom Pedro I. Ils accusent l'empereur de discrimination envers les Brésiliens -sous entendez les brésiliens d'origine européenne- et de commettre des abus. En contrepartie, les portugais défendent le monarque et leurs privilèges. A la suite d'une multitude de faîts divers, les tensions entre brésiliens et portugais entrent dans une escalade sans retour dès le 11 mars 1831. Le 13 du même mois, l' armée s'insurge contre le monarque et un groupe de noirs armés de bâtons occupe les rues brandissant les mots « independência » et « constituição ». Les royalistes avec l'appui des marins et des dockers portugais doivent faire face à une pluie de pierres, de bouteilles et devant les coups des capoeiristes se défendent comme ils peuvent. Après quelques coups de feus et au moins deux morts, la foule se disperse temporairement. Les conflits vont encore durer quelques jours, connus désormais sous le nom des « noites das garrafadas » et les élites continuent à presser Dom Pedro I. Tant et si bien que le 7 avril 1831, le monarque abdique en faveur de son fils alors age de 4 ans. Les libéraux vont désormais assumer le gouvernement en cette période de régence.


L'appui donné par les capoeiristes à la chute de l'empereur ne leurs garantissent pourtant aucun privilèges. Au contraire, le succès de leurs actions lors des conflits de rue est interprété par l'élite comme une menace. Au final, s'ils finissent par agir ensemble, les gangs d'esclaves de Rio représentent un sérieux danger. Ainsi les premières années de la régence sont-elles marquées par l'expectative d'une révolte de la population noire. Et la peur finit par se transformer en répression. Mais la police ne fait pas uniquement usage de la force mais utilise des techniques d'espionnage et de délation afin de faire suffoquer une par une les mouvements initiés par les bandes de capoeiras. Dans les années qui suivent les gangs ne réussissent pas à agir avec cohésion.

 
 

« Les captifs ne représentaient pas un groupe social uni. La population esclave brésilienne était fragmentée » affirme l'historien Soares. « Si ici il y avait eu un semblant d'unité raciale, idée tellement vigoureuse à la fin du 19ème siècle, l'esclavage aurait été éliminé en quelques jours comme c'est arrivé en Haïti. »

 

Ni l'abolition de l'esclavage ni la proclamation de la République ne servent à achever la repression contre les capoeiristes et le 11 octobre 1890 est promulgué le Code Pénal du nouveau régime -un an avant la nouvelle constitution !- .

 

En son article 402, il établit une peine de 2 à 6 mois de prison pour le délit de capoeiragem. Pour les chefs de bandes, cette punition sera appliquée en double pouvant aller jusqu'à 3 ans de prison. La capoeira devient finalement un crime...


Source : Aventuras na História – historia.abril.uol.com.br/

 

 

 



Dessins de Kalixto.

 

Caricaturiste brésilien qui a croqué la Capoeira au début du XX ème siècle à Rio de Janeiro
K.Lixto ou K-lixto, est le nom dont Calixto Cordeiro usait pour signer ses travaux.
Il est né dans la ville de Niterói, à Rio de Janeiro, en 1877. à 13 ans, il travaille à la Maison de la Monnaie, ou il apprend la gravure. 3 ans après, le directeur de cette institution l'inscrit à l'Ecole des Beaux-Arts. Il commence sa carrière à la revue "Mercúrio", en 1898, il devient par la suite directeur artistique de "O Malho" et "Fon-Fon". Le trait de ses caricatures est caracteristique et élègant, ses couleurs sont le noir et le blanc, qu'il utilise avec une tres grande habileté.
Il comptabilise plus de 50 ans d'activité dans les journaux et revues, sa production représente autour de 150 mille dessins. Il meurt à 80 anos, à Rio de Janeiro.