Au Brésil, on danse souvent pour oublier les coups du sort. Avoir conscience des battements de son cœur qui s’accélère, se persuader de sa propre existence, sentir l’air circuler au fond de ses bronches, comprendre la fragilité d’une vie ... C’est ainsi que la capoeira a vu le jour. Au temps de la société esclavagiste, des millions d’Africains sont déportés dans la région de Bahia, « La Rome noire » du Brésil, pour travailler dans les champs de cannes à sucre. Déracinés, ils voient dans la musique une échappatoire et une manière de lutter contre l’oppresseur. Pour cela, les esclaves imaginent un jeu où les arts martiaux se dissimulent derrière le jeu et la musique. En réalité, il commence à s’émanciper. Longtemps perçue comme violente, la capoeira sera interdite jusqu’au XXe siècle. En 1930, quelques écoles de Salvador de Bahia proposent de l’enseigner. Mais, elle devra attendre le 15 juillet 2008, pour entrer juridiquement dans le patrimoine culturel brésilien.

Cette histoire en est une parmi tant d’autres. Les origines de cette danse et la complexité de ses symboles restent mystérieux encore aujourd’hui. Julien Terrin, anthropologue, a écrit la sienne, dans un mémoire de recherche qu’il a réalisé en 2011 : Salvador de Bahia, la Mecque de la Capoeira. Rencontre, en vue de l’évènement à la Cité de la Musique, « Capoeira : danse et combat », le 12 février 2012.

Selon certaines théories, avant de s’être ancrée au Brésil, la Capoeira tirait ses origines du continent africain. D’autres au contraire, affirment qu’elle proviendrait de la civilisation amérindienne. Qu’en est-il réellement ?

Julien Terrin : Sur le plan théorique, il est toujours compliqué de répondre de façon catégorique aux questions concernant l’origine d’une pratique culturelle. Le principal danger étant d’orienter le débat vers une spirale sans fin ; en d’autres termes de partir en quête d’une pureté culturel fantasmée. De plus, cela impliquerait d’être capable de définir un début voire une fin à une chose qui n’en à pas : la culture. Si nous prenons le cas de la Capoeira, trois grandes théories peuvent être retenues concernant ses origines. Chacune de ces trois versions renvoie à un mythe fondateur différent qu’il faut néanmoins prendre en compte afin de mettre en évidence les importants métissages culturels qui ont eu lieu au cours de la construction de la nation brésilienne.

La première théorie prétend que la Capoeira provient d’Afrique centrale, qu’elle a été ramenée par les esclaves et qu’elle se serait développée ensuite au Brésil en conservant ses caractéristiques originelles. Les partisans de cette théorie, émise par les ethnologues et folkloristes du début du vingtième siècle, soutiennent que la Capoeira trouve son origine dans un certain nombre de rituels initiatiques, le plus directement identifié comme matrice de la Capoeira étant le Ngolo (la danse du zèbre) que l’on retrouve sur la côte sud de l’Angola. Les hommes en âge de se marier étaient amenés à lutter en utilisant leurs têtes, leurs mains et leurs jambes dans le but d’atteindre l’adversaire à la tête pour remporter la victoire.

Une autre théorie affirme que la Capoeira est une construction des esclaves marron. Cette lutte développée au sein des senzalas serait née du mélange culturel entre les différents peuples africains déportés au Brésil. En effet, les esclavagistes avaient pour habitude de séparer, d’éclater les éventuels noyaux de résistance en évitant les contacts entre membres d’une même ethnie. Une lutte serait née du mélange entre différents rituels d’origine africaine et aurait permis aux esclaves les plus téméraires de fuir leurs maîtres pour rejoindre les Quilombos, communautés d’esclaves libres souvent situées en marge du monde connu, c’est à dire dans les espaces vierges, à l’abri des regards entre le dix-huitième et le dix-neuvième siècle. Elle s’y serait alors développée en tant que véritable art de guerre mis au service de la lutte contre l’armée portugaise. Le quilombo de Palmares (1580-1694) aurait réunis plusieurs dizaines de milliers d’esclaves fugitifs, et leur leader le plus prestigieux, Zumbi dos Palmares, est considéré par nombre de capoeiristes comme le premier maître dans l’art de la Capoeira, sinon comme un de ses symboles incontournables.

Certains défendent l’idée quelle serait amérindienne, voire portugaise. Plusieurs explorateurs ou colons auraient témoigné de l’existence de luttes guerrières effectuées en cercle au son des tambours. Si les origines africaines de la Capoeira, directes comme lointaines, sont nettement plus convaincantes, l’influence amérindienne aura tout de même laissé un apport considérable à la Capoeira, en lui donnant son nom. Sur le plan étymologique, le terme "Capoeira" proviendrait du Tupi Guarani, ensemble linguistique le plus représenté sur le continent américain qui s’étend du Brésil au Paraguay.

Plusieurs folkloristes et linguistes se sont affrontés pour reconstituer l’origine du terme "Capoeira" et si les débats furent ardents entre partisans d’origine portugaise ou tupi, la dernière tend à l’emporter aujourd’hui. Dans la langue Tupi, le terme "Capoeira" ou caa- puera désigne une zone de hautes herbes ayant poussé après un incendie de forêt ou sur le sol d’une exploitation abandonnée ou en jachère. C’est donc à l’abri du regard des maîtres, et sous l’œil intrigué des Amérindiens que la Capoeira aurait commencé à se développer autour des grandes exploitations sucrières.

Si aucune réponse définitive n’a encore été donnée concernant la véracité de l’une de ces théories, il est vrai qu’une grande similitude existe entre la Capoeira et certaines danses rituelles africaines telles que le N’golo, ou encore avec des danses telles que le Ladja en Martinique et le Morring sur l’île de la Réunion . Ces similitudes laissent entrevoir leur origine commune, faisant de la Capoeira l’une des manifestations culturelles dérivée de la matrice culturelle de la diaspora noire.

Je pense personnellement que toutes ces théories se valent en un certain sens. En vérité il faut l’observer comme une pratique issue du syncrétisme entre ces différentes matrices culturelles. La Capoeira, comme toute pratique culturelle, est le fruit de la rencontre entre ces peuples. Si l’origine africaine reste indéniable (rythmes musicaux, chants louant la mémoire des afro-descendants ou d’un lointain souvenir du violent arrachement à une terre d’origine), la langue par laquelle ils sont véhiculés est bien souvent le portugais. Certains des instruments utilisés dans la Capoeira comme le Pandeiro (tambourin) proviennent du Moyen-Orient et ont été apportés par les colons portugais.

 

La Capoeira est un mélange de danse, de lutte et de jeu, où les danseurs combattent avec le sourire aux lèvres. Ce spectacle déroutant est-il profane ou bien sacré ?

Julien Terrin : La question du rapport entre la Capoeira et le sacré est super pertinente. La Capoeira possède plusieurs facettes. On retrouve dans les récits du début su XXème siècle des traces d’une Capoeira festive, jouée dans les arrière-cours, ou bien à la sortie de l’église. Ces moments de détente et d’amusement particulièrement bien arrosés sont l’expression d’une pratique profane, inscrite dans le quotidien des travailleurs précaires afro-brésiliens. Néanmoins, au sein même de ces pratiques, les relations entre l’univers de la Capoeira et l’univers religieux (principalement afro-brésilien) est très marquant. Que ce soit au niveau des rythmes, des chants ou des mouvements corporels, on ne peut que constater l’existence de similitudes qui renvoient à une matrice culturelle commune. Maitre Decânio précise par exemple que « le Candomblé est la source mystique d’où jaillit la magie de la Capoeira ».

Sur le plan historique, Capoeira et Candomblé auraient été très proches lors des grandes périodes de répressions qui ont suivi l’avènement de la première République. Les capoeiristes expliquent qu’au XIXème siècle, les terreiros de Candomblé (lieux de culte) servaient de refuge et d’espace d’entraînement aux capoeiristes en échange de quoi ils protégeaient les communautés religieuses de tous types d’agressions. Bien souvent, les maîtres les plus anciens étaient aussi des figures respectées dans l’univers religieux afro-brésilien introduit au sein des hiérarchies religieuses. Pourtant ce lien n’est pas systématique et la relation avec l’univers du Candomblé était parfois indirecte, à savoir présente dans les mœurs et coutumes populaires.

Pour certains capoeiristes, le jeu de la Capoeira revêt une dimension plus mystique, en ce sens où il serait un rituel sacré capable de relier les participants à leurs ancêtres. Cette ancestralité représente, toute époque confondue, l’esprit des anciens capoeiristes. Dans ce cas de figure, la Capoeira permettrait aux pratiquants d’entrer en communication avec les ancêtres, d’entretenir un contact, de nourrir leur esprit avec l’énergie dégagée par la roda dans un sens métaphorique, mémoriel, voire quasi religieux. Cette énergie, le axé, est perçue comme une invitation et une offrande aux esprits. En jouant la Capoeira, ce sont les esclaves, ou l’ensemble du peuple noir opprimé et ses héros que l’on ferait revivre. Pour ces pratiquants, la Capoeira est vue comme une lutte/jeu sacré, conduisant parfois à une forme de transe difficilement explicable.

Les signes du sacré sont également décelables dans le comportement des joueurs. Signe de croix, patua (grigris), chants demandant la protection d’un saint ou d’une divinité africaine, techniques et rituels de fermeture du corps, font partie de l’univers mystique de la Capoeira.

Cependant, la Capoeira s’est en grande majorité développée comme un sport à l’étranger. A laquelle s’ajoute l’éloignement culturel provoqué par la délocalisation de la pratique, le sacré tend à s’effacer pour laisser place à une pratique plus rationalisée, ou du moins vidée d’une partie des sens propres au rituel et aux superstitions.

Parmi les différents spectacles organisés dimanche à la Cité de la Musique, un a particulièrement attiré notre attention : celui autour du Maculelê. Une sorte de lutte chorégraphiée où les danseurs s’affrontent avec des bâtons en bois. Pourquoi peut-on l’assimiler à l’univers de la Capoeira ?

 

Julien Terrin : Tout comme pour la Capoeira, les origines du Maculelê restent obscures. Mettant en scène deux guerriers armés de bâtons de bois ou de machettes, le Maculelê est une danse particulièrement dynamique qui s’effectue au rythme des Atabaques. Originaire de Santo Amaro da Purificação - ville située dans le Reconcavo bahianais (arrière pays de Salvador de Bahia) – les théories sur ses origines laissent là encore entrevoir les richesses du métissage afro-brésilien. Certains défendent l’idée qu’il provient des traditions indiennes locales. Néanmoins la thèse de l’origine africaine reste la plus probable.

Cette danse ressemble sur de nombreux point à la Capoeira. En effet, chant, rythme et chœurs se répondent pour apporter l’énergie nécessaire aux deux danseurs qui improvisent au milieu de la ronde.

On peut aussi l’assimiler à l’univers de la Capoeira tout simplement parce que le Maculelê connaît un processus d’institutionnalisation similaire (milieu des années 1940). Au début du XXème siècle, la plupart des maîtres de cet art périrent en emportant avec eux les secrets de leur art. Par conséquent, le Maculelê disparut presque totalement des fêtes populaires de Santo Amaro. C’est à l’initiative de Paulinho Aluisio de Andrade, plus connu sous le nom de Maître Popo, que la pratique regagne sa place dans les fêtes profanes de la ville avant de devenir célèbre dans l’ensemble du Brésil. Il réunit un groupe de proches et réinventa la pratique du maculelê à partir de ses expériences et souvenirs d’enfance. Comme les maîtres Bimba et Pastinha le firent pour la Capoeira, il donna au Maculelê une structure servant de modèle pour la préservation et le développement de son art.

Si l’on peut supposer que les liens entre Capoeira et Maculelê existaient depuis bien longtemps à Santo Amaro da Purificação, les deux univers se rejoignent au sein des premiers ballets de danses folkloriques afro-brésiliens. Une grande partie des capoeiristes passés par ces ballets folkloriques reçoivent une formation complète en danse et en percussions. Faisant alors partie intégrante du bagage culturel des capoeiristes, l’enseignement du Maculelê a lui aussi franchi les frontières du Brésil.

Aujourd’hui, pratique-t-on pour des raisons différentes la Capoeira que dans le passé ?

Julien Terrin : Si vous faites mention du milieu social dans lequel elle se pratiquait et des usages qui en étaient faits ou tout simplement de la manière de jouer... Bien sûr !!!! La Capoeira a connu tout au long du XXème siècle un véritable processus de transformation. Issue des marges urbaines, pratique criminalisée, elle s’est peu à peu fait une place au sein de l’espace culturel brésilien. Pour bien comprendre cette rupture, il faut remonter au XIXème siècle, époque à laquelle la Capoeira était à la fois une pratique populaire, un instrument voire une arme politique utilisée aussi bien par les gangs de Rio de Janeiro (Maltas) pour contrôler des quartiers entier de la ville que par les hommes politiques véreux et une police chargée d’éradiquer la Capoeira en combattant le mal par le mal !

Ce qu’il faut retenir de cette époque, c’est que la Capoeira était une pratique de rue non institutionnalisée et donc potentiellement bien plus violente. Issu d’une époque et d’un milieu où la violence était monnaie courante (violences policières, inégalité raciale et sociale poussées à l’extrême), la pratique reflétait l’environnement dans lequel ses pratiquants évoluaient. Réciproquement, les récits renvoyant à cette époque sont entaché de sang, de luttes aussi bien individuelles que collectives.

Les figures représentatives de la Capoeira de l’époque sont alors les Valentões (les braves), capables de défier plusieurs hommes (force de l’ordre comprises) avec pour seule arme une agilité hors paire et parfois une lame de rasoir. Les malandros étaient eux aussi des figures mythiques de la Capoeira marginale. Personnages ambigus, antihéros par excellence évoluant dans la société comme des funambules en équilibre sur l’étroit fil de la marginalité, les malandros n’étaient autre que le reflet des inégalités et de la fracture qui existe dans la société brésilienne post-abolitionniste.

Aujourd’hui, si la malandragem vit encore, elle est plutôt un résidu de ce qu’elle à été durant les siècles passés. Devenu un synonyme de malice, elle est élevée au rang de savoir ou de qualité recherchée par les capoeiristes. Tout cela pour dire que les motivations ne sont plus les mêmes. Même si l’inégalité sociale et le racisme restent à bien des égards semblables à ce que pouvaient vivre les premiers descendants d’esclaves, aujourd’hui, la Capoeira est pratiqué en grande majorité dans des milieux aisés. Pas question pour un père ou une mère de famille ou bien un enfant pratiquant la Capoeira comme un hobby, et payant une cotisation annuelle au sein d’une association, de recevoir un coups de rasoir en pleine gorge ou de se briser une jambe où un bras au beau milieu d’une roda. L’institutionnalisation de la Capoeira a impliqué un véritable processus d’euphémisation de la violence, même si on la trouve encore notamment sous forme de violence symbolique.

 

Qu’est ce qui a favorisé son développement et son expansion au Brésil ?

Julien Terrin : C’est l’émergence de la Capoeira comme sport ou pratique culturelle qui a favorisé la sortie de la marginalité. Cette institutionnalisation de la Capoeira n’est pas le fruit d’un hasard ou encore de la seule bonne volonté des maîtres de cet art. Leur rôle est fondamental mais il faut rappeler qu’ils n’agissent pas en groupes réduits et hors de tout contexte, comme le laisse parfois entendre la documentation produite par les acteurs du champ de la Capoeira. En effet, comme ce fut le cas pour de nombreux arts martiaux et sports de combats dont la pratique se stabilise à partir de la fin du dix-neuvième siècle, le contexte politique de construction nationale et régionale puis des enjeux touristiques interviennent comme facteurs clés de la construction des luttes nationales et du sens qu’elles prennent dans l’imaginaire collectif. Il faut donc prendre en compte un triptique regroupant les pratiquants, les acteurs économiques et politiques et les intellectuels.

Pour la Capoeira, on retient souvent les noms de Manuel Dos Reis Machado (Mestre Bimba) et Vicente ferreira de Pastinha (Mestre Pastinha), acteurs principaux de la première phase de modernisation et d’expansion de la Capoeira (1930-1960). Même si leurs visions différaient, leur objectif était le même à savoir « éduquer » la Capoeira pour en faire une pratique internationalement reconnue.

Ces deux maîtres se distinguent particulièrement car ils surent profiter du contexte politique ultra nationaliste des années 1930-1945 pour sortir la Capoeira de la rue. Elle gagne ainsi l’espace public et commence à se pratiquer au sein d’académies. Pourtant ils ne furent pas les seuls à travailler à ce grand projet. De nombreux maîtres restèrent dans l’ombre de ces deux figures légendaires malgré le rôle qu’ils jouèrent dans ce premier mouvement modernisateur.

En ce qui concerne la phase d’expansion hors Brésil, c’est la nouvelle génération de capoeiristes formés par ces maîtres et pour la plupart issus des classes moyennes ou aisées qui exporta la Capoeira vers les grandes capitales européennes et américaines à partir des années 1970. Il faut aussi prendre en compte le rôle des ballets folkloriques qui donnaient à voir un large panel de danses et musiques populaires. C’est part le biais de ces tournées nationales et internationales auxquelles participèrent de nombreux capoeiristes que la Capoeira commença à se propager par delà les frontières nationales.

Depuis le 15 juillet 2008, la Capoeira fait officiellement parti du patrimoine culturel brésilien. Qu’a changé cette toute nouvelle reconnaissance juridique ?

Julien Terrin : Officiellement, la patrimonialisation de la Capoeira est une démarche visant à soutenir l’expansion de la Capoeira au Brésil et dans le monde en soutenant les maîtres de cet art dans leurs projets professionnels et sociaux.

Cette reconnaissance, pour l’instant bien plus symbolique que réelle, illustre plus particulièrement une prise de conscience par les autorités des gains que peuvent apporter la Capoeira (aussi bien symboliques qu’économiques). Ce processus qu’il soit envisagé à l’échelle nationale ou internationale doit être perçu avant tout comme une opération de sauvegarde d’un bien immatériel brésilien. Il s’agit en fait de répondre à la question suivante : A qui appartient la Capoeira ? Cela peut sembler ridicule à première vue mais le développement exacerbé de cet art pose la question de sa réappropriation par les pays demandeurs de ce bien culturel. L’exemple états-unien illustre parfaitement cette compétition sous-jacente. En effet, en 2001, un fameux maître brésilien résidant aux USA depuis près d’une vingtaine d’année s’est vu octroyé la « National Heritage Fellowship », bourse récompensant les maîtres du folklore états-unien !

Le discours de réparation des torts causés aux capoeiristes et par extension à la communauté afro-brésilienne est donc secondaire et s’inscrit dans le cadre de politiques mémorielles de façade. En ce qui concerne la retraite des vieux maîtres, la professionnalisation et la circulation des capoeiristes peu de mesures concrètes ont vu le jour pour l’instant. Il faudra encore attendre quelques années pour voir si cette reconnaissance officielle portera ses fruits.

 

Pourquoi surnommez-vous Salvador de Bahia, au Brésil, « la Mecque de la Capoeira » ?

Julien Terrin : En réalité, je n’ai fait qu’emprunter un terme très employé au sein du monde de la Capoeira. Cette expression popularisée par Gilberto Gil lors d’un discours prononcé devant les Nations Unies en Août 2004 reflète bien les enjeux propres au champ de la Capoeira. Elle permet d’illustrer le phénomène de territorialisation / déterritorialisation des pratiques culturelles. En effet ce paradoxe mettant en scène la question identitaire est très courant. On peut penser qu’en sortant de l’échelle locale, une tradition perd de son sens en s’exportant. Pourtant, dans ce cas, l’espace d’origine gagne en légitimité en redevenant le centre symbolique d’une communauté internationale de pratiquants. Pour les pratiquants étrangers, le voyage vers la « terre sainte » est bien souvent une étape obligatoire à la compréhension de l’art qu’ils pratiquent. Ainsi dans les rodas de Salvador on rencontre parfois bien plus de Français, Mexicains, Etats-uniens ou Japonais que de capoeiristes locaux. De plus, pour le pèlerin ou le touriste lambda en quête de pratique authentique, la route est souvent parsemée d’embuches avant de tomber sur l’académie qui nous correspond.

Pour résumer, on pourrait reprendre la phrase de Pedro Abib, enseignant, chercheur au sein de l’Université Fédérale de Bahia et capoeiriste qui affirme que « Si tout bon Musulman se doit de faire son pèlerinage à la Mecque, tout bon capoeiriste doit au moins passer une fois par la ville de Salvador ». Néanmoins, il ne faut pas oublier que si la Capoeira pratiquée aujourd’hui puise ses sources à Bahia, du fait du grand mouvement de répression connu dans les autres villes au XIXème siècle, Rio de Janeiro, São Paulo, ou Récife possèdent aujourd’hui leur propres références et styles de Capoeira.

Propos recueillis par Julien Bouisset 10/02/2012